i.Van
PHOTOGRAPHIES
DESSINS
LIEUX ABANDONNES

L'idée ou la perspective d'écrire sur ces lieux abandonnés ne m'avait jamais effleurée. Happée un peu plus qu'un.e autre par ces noblesses envahies, je restais fascinée par des lumières impitoyables qui traversaient et éclaboussaient le moindre petit orifice. Prise par la peur d'être "vue", ou d'être prise en flagrant délit de sensations plus que fortes, je cherchais avec des allures de sioux trépignant d'excitation, une ouverture pour me glisser dans ce qui, je le devinais déjà, allait m'étourdir. Beaucoup d'images n'ont pu être captées faute d'émotion, de passion, de lumière. Je traversais ces lieux souvent "à risques" vu leur fragilité au moindre souffle, tenant ma boîte à images dans la main et poussant des halètements d'émerveillement. Pétrifiée, je m'arrêtais net la bouche ouverte, les yeux exorbités devant tant de grandeurs de beauté désolée, envahie, craquée, où les restes solides d'un passé lointain témoignaient encore. L'angle de mon objectif ne me permettait pas de tout avaler. L'émotion me faisait perdre le peu de technique assimilée. Mais toutes ces images non fixées sur pellicules le sont à jamais dans mon regard. Je n'ai fait aucune recherche sur ces lieux, cela ne m'intéressait pas. Je voulais juste regarder le passé dans le présent. Même si c'est un lieu commun de déclarer que les pierres parlent, c'est pire que ça, elles souffrent. Oui, c'est vraiment le ressenti unique qui émane de mes explorations. Comme une plainte sourde, longue, fière, ces pierres continuent à revendiquer leur beauté, leur grandeur, leur solitude et désolement ... comme un reproche...
La clinique Sainte Elisabeth - Bruxelles - 1999-2000

Peur - La Peur plus forte que l'excitation ou encouragée par elle. Peur de sentir surgir les fantômes de la douleur sous forme de virus ou microbes gigantesques et ricanants. Peur de percevoir l'incessante et lancinante plainte des âmes ancrées dans cet espace fabuleusement trop large, haut, vide, abandonné comme si l'on avait laissé cette immense double bâtisse pour qu'elle conserve avec précaution et sévérité tout ce que l'on ne veut pas dehors. Le nouveau bâtiment à quelques mètres n'en apparaît que plus léger, moins grave, presque ridicule comme si là on souffrait moins. "Ne craignez rien, le pire était en face!"
Je suis l'intensité des courants d'air glacé qui me lèchent avec force la peau du visage, la cape, le bout des doigts. Saisie de stress et d'émerveillement. Des couloirs à l'infini, des chambres bleu pâle, rose gris pâle, vert pâle, crème... aux portes béantes comme si l'on avait fui ce lieu dans une précipitation ultime de fin du monde. La salle des urgences reste un lieu magique par ses grandes baies arrondies, ses galeries infinies vitrées. Je monte la pente rapidement, grimpe les marches qui m'amènent au balcon et ... le spectacle commence...

Derrière moi une croix de couloirs. Je ne sais ni où je suis, ni comment je sortirai. J'emprunte ce que je ressens, me presse au rythme de mon emballement, je souhaite avoir des yeux partout, derrière la tête, dans le dos, le bout des doigts.


Des tags éblouissants colorent la lumière qui peint la matière bouleversée des surfaces.
Par où commencer, que fixer. Là, trop ou pas assez de luminosité, ici, un pan de marches d'escalier a sombré ... il me faudrait des tonnes de films, des lentilles capables de capter ce trop et ce trop peu. Mais la magie s'infiltre dans mon regard et je happe avec une avidité concentrée chaque ressenti.
Je quitte ce lieu à la fois épuisée et ensorcelée, muette.







Assise dans ma voiture, je reste - abasourdie, paralysée, hypnotisée - je lance vers Sainte Elisabeth un regard encore insatisfait contenant toute l'irréalité de ce que je viens de traverser. La sensation d'y avoir circulé une éternité et de ne plus très bien savoir où se situe le réel et le non-réel. De tous les lieux approchés, pénétrés, celui-là me hantera.
Tous les jours, comme des milliers de personnes, je passe le long de cette lourde et longue clinique, l'impression qu'elle me fait un clin d'oeil au passage, m'invitant sournoisement à revenir. Ce que je ferai...
J'observe le comportement des passants, pas un ne s'arrête ou ne tourne le regard vers ce témoin architectural.
Chaque jour, ils ignorent qu'ils côtoyent le secret...



